Ma bourrache
est en fleur… je m'en aperçu hier en balayant les feuilles d'automne étalées en
sarabandes inégales aux couleurs de saison que
fit le vent en jouant avec elles aux aurores sur une terrasse encore humide. Le
saviez-vous? La bourrache est une plante bisannuelle… la météo des plus
clémentes en cette fin novembre lui aura donné tout loisir d'offrir aux
derniers hyménoptères courageux le suc el le parfum émanant du bleu égyptien de
ses pétales en pointe serties dans leur corolle mal rasée.
Rien à voir
avec une espèce de champignon en touffe sorti on ne sait comment entre deux
dalles disjointes, composé d'une dizaine de pieds hauts de dix centimètres mais
déjà noircis par une température nocturne incompatible au développement normal du sujet prenant inexorablement
un aspect difforme, rampant et gluant à l'odeur innommable !... que j'éliminais
derechef, illico presto, sans tambours ni batterie (de cuisine : c'eut été un
comble) en le faisant disparaître subrepticement dans un sac au milieu des
feuilles destinées à alimenter mon compost, quitte à rendre ce dernier
imbuvable pour les vers de terre. Mais il faut savoir parfois prendre des
décisions courageuses : en l'occurrence cacher cette misère noire au milieu du
soleil mordoré des feuilles jaunissantes de ma glycine et de mon noisetier en
pleine démonstration de leur spécificité de caduques.
Du coup, de
champignons… en forêt il n'y a qu'un pas, quelques verstes et une encablure
pour me fondre au milieu des chênes et autres pins de mon terrain préféré où je
m'abandonnais encore voici tout juste
huit jours en quête d'individus aux saveurs boisées.
Fin de
saison cependant, après une courte période plutôt faste où ceps et bolets se
bousculaient pour atteindre mon panier trop petit, quelques golmotes (amanitas rubescens) en sursis respiraient
avec peine sous des toits de feuilles alourdis par l'humidité et les brindilles
éparses quand leur pied fragile n'était pas sectionné par de petites limaces
grises - deroceras reticulatum pour
les intimes - en mal de distractions culinaires.
Peu de
représentants, du moins comestibles pour ne pas dire succulents, en cette fin
de saison gâvraise 2014. Peu de représentants "comestibles" dis-je
donc ou reconnus comme tel par votre serviteur qui se fait une gloire (pas
encore posthume… attendez un peu!) d'en nommer quelques uns par leur nom autre
que générique, mais étonnamment de nombreuse espèces jusqu'ici jamais vues sous
cette latitude.
Quelle ne
fut pas ma surprise de découvrir à mes pieds, non pas la lépiote élevée que
tout le monde connait et apprécie, même pas celle dite "déguenillée"
beaucoup plus rare, mais une toute nouvelle au nom évocateur de "baleine
inversée" (umbraculiformis) ayant
effectivement la forme et le port du parapluie retourné par un coup de vent
intempestif! Deux pas plus loin je me vois interloqué à la vue d'une amanite
dite "passoire" ressemblant comme deux gouttes d'eau à la
"tue-mouches" (amanitas
muscaria) par son colori rouge vif mais ponctué de trous noirs (amanitas foramenigrum) à la place des
points blancs syndicaux de l'original. En continuant ma marche sylvestre, mon
œil attentif tombe soudain sur un autre échantillon tout aussi surprenant : qui
ne connait le gomphide glutineux (Gomphidius glutinosus ) cousin par l'aspect de la nonette
voilée (suillus luteus ) mais sans le
voile? Eh bien, ce phénomène avait plutôt l'aspect d'un gros pied en
tire-bouchon mais sans la poignée de ce dernier, c'est-à-dire sans chapeau du
tout, d'où son appellation un peu spécieuse de "gomphide torsadé
anti-suidé" ou "gomphidius vortex
anti-porcus" pour les initiés.
Et j'allais
de surprise en surprise, au détour d'une allée un superbe lycoperdon tabulaire
"mensula" ou "petite
table" en latin, contrairement à tous les lycoperdons "normaux"
qu'ils soient "perlatum", "echinatum" ou "pyriforme"
au port en général plutôt arrondi comme toute bonne vesse-de-loup qui se
respecte, celui-ci présentait un sommet
effectivement en forme de table rectangulaire. Puis je faillis marcher sur un
bolet cramoisi (boletus kermesimus);
Dieu sait s'il en existe de nombreuses espèces, du blafard en passant par le
chicotin ou l'appendiculé, mais c'est bien la première fois que je découvrais
cet exemplaire au capuchon si rouge
que toute personne non avertie prendrait pour un bolet de Satan alors que ce
dernier arbore un chapeau de couleur gris livide et n'est rouge que par son
pied et ses "tubes" sous-jacents. Ce fut ensuite un clitocybe en
forme de fer à cheval (solea ferrea)
inconnu à ce jour, puis un hydne verruqueux – le pied-de mouton classique étant
comme chacun sait parsemé de fins aiguillons faciles à détacher sous son
chapeau et non de verrues -, trois pas plus loin un énorme lactaire en forme de
pierre (colossus lapis), dur comme
une massue que n'importe quel américain de base et non réfléchi prendrait pour
une batte de base-ball.
Je ne vous
parlerais pas d'un inocybe gonflant vraiment sans intérêt et donc vraiment
gonflant, ni d'une russule falciforme découverte au milieu d'une colonie de
charbonnières – mais que faisait-elle là toute seule?!... -, même pas du satyre à pieds joints qui semble
prêt à escalader le blanc mollet d'une vierge égarée. Tout juste vous ferais-je
l'honneur de m'attarder sur une très spéciale morille à la queue en panache identifiant
à la fois la fraise du duc de Guise et le panache blanc d'Henri IV, sachant
tout de même qu'ici n'est pas la région de ces espèces, d'où l'attention
particulière que j'en fais et l'assurance de n'importe quel écolo-maniaque qui prétextera
du réchauffement de la planète…
Enfin, après
avoir croisé un "hypothème filcide", deux ou trois" galernes
erectus" et même, poussant en rond comme certaines chanterelles, un
troupeau de "figulines rampantes" je sortais des frondaisons non sans
avoir écrasé involontairement un minuscule laccaire horizontal – contrairement
à tous ses coreligionnaires droits sur leur pied – pour prendre le chemin du
retour et dès l'arrivée à mon domicile potasser à nouveau mes encyclopédies traitant
de mycétologie.
Bien m'en a
pris ! Dans mes livres comme sur la toile je n'ai trouvé que les espèces communes
habituelles dont vous trouvez les liens en promenant votre souris sur leur nom
dans ce texte. Mais en aucun endroit il n'est fait mentions de mes autres
trouvailles si particulières et tellement remarquables énumérées ici : amanitas foramenigrum ou autre boletus
kermesimus sont totalement ignorés de la sphère spécialisée dans
l'élaboration des dictionnaires idoines. Je me demande dans qu'elle mesure je
ne serais pas amené tôt ou tard à proposer mes services auprès de l'académie
adéquate pour pallier cette lacune insupportable!
Pol Hyppos Mykonos
Grec de service
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Pol Ernaz